Demain: (adverbe) terre mystique où 99% de la motivation et de la productivité sont planqués.

J’ouvre une rubrique d’articles qui couvre des sujets de recherche en économie que je trouve assez originaux. Ne vous dîtes surtout pas que vous n’y comprendrez rien si vous n’avez pas fait des études en économie. Ce n’est justement pas le but pour moi, étant donné que j’écris ceci pour m’évader de la routine technique de mon quotidien en tant qu’étudiante chercheuse. Je vais juste raconter des histoires. Dîtes-moi en commentaire si vous adhérez ou pas !

-Oui oui… il est 13:47, je m’y mets à 14:00.

-J’apprendrai enfin le Swahili l’année prochaine… Ah j’ai dit la même chose l’année dernière ?

-Juste 15 minutes sur Instagram puis je fais le ménage.

Je me dis ceci beaucoup plus souvent que je ne le voudrais ; il n’y a pas meilleure que moi pour trouver des excuses pour ne pas me mettre à l’action. Sainte procrastination : habitude à remettre à plus tard, ce que l’on pourrait faire à l’instant. Presque tout le monde procrastine, et certaines personnes au point où elles en expérimentent de sévères conséquences dans leurs vies personnelles et professionnelles. Ce fait est devenu un sujet prometteur à l’interface entre l’académie et les discussions entre économistes. Pour Bitter cola, je surfe sur cette vague pour vous présenter le premier papier de cette catégorie. Il s’intitule Do it now or later par Ted O’Donoghue et Matthew Rabin.

Les deux auteurs modélisent des problèmes de self-contrôle. Il s’agit précisément d’examiner la façon dont les individus prédisent leurs comportements dans le temps. Plus simplement, par quel mécanisme nous arrive-t-il de procrastiner ?

L’introduction commence par la phrase suivante : « Les gens sont impatients – ils aiment ressentir les récompenses rapidement et reporter les coûts à plus tard. » C’est peut-être un peu cynique comme point de départ, mais en aucun cas une condamnation. En effet, des trois types d’individus qui seront décrits, il n’est dit nulle part qu’une catégorie serait entièrement meilleure qu’une autre. Je les liste :


· Les « naïfs », ce sont ceux qui procrastinent les activités dont le coût est immédiat, et se hâtent en revanche de procéder à des activités dont le bénéfice est immédiat. Et ceci parce qu’ils ont tendance à mal prédire leurs comportements dans le temps.


· La personne « sophistiquée » se méfie de la personne qu’elle sera demain. Elle est entièrement consciente des problèmes de self-control qu’elle pourrait avoir dans le futur. De ce fait, elle préfère agir en conséquent à l’instant initial. On la qualifie de sophistiquée car théoriquement la résolution de son problème prend en compte plusieurs éléments qui ont trait à la complexité de sa façon de penser ou à sa lucidité.


· Les personnes « cohérentes dans le temps » sont celles dont la préférence pour un bien-être à une date antérieure par rapport à une date ultérieure est la même quel que soit le moment où on lui propose de remplir la tâche. En d’autres termes, une telle personne ne tient pas compte de rapport coût/bénéfice immédiat et fait l’activité lorsqu’il le faut, tout simplement. Elle semble être la personne parfaite ! Elle sait parfaitement prédire son comportement dans le présent et dans le futur. Cependant des observations simples de comportements humains révèlent que l’hypothèse de la consistance dans le temps est rapidement faussée. Les gens ont plutôt tendance à exprimer une autre préférence assez spécifique qu’on appelle le biais pour le présent. Lorsqu’on envisage un arbitrage entre deux moments futurs, le biais pour le présent fait pencher la balance pour une petite récompense au moment le plus proche, plutôt qu’une plus grande récompense au moment le plus éloigné. C’était une parenthèse et je ne vais pas plus approfondir ce détail.

En ce qui concerne nos trois types de personnages, ça peut sembler toujours très vague. Alors mettons-nous dans une situation simple pour comprendre l’idée générale. Vous avez un devoir à rendre dans 4 semaines, et on va supposer que ce n’est que les samedis que vous avez le temps de travailler dessus. Mais d’un autre côté vous, danseur amateur de kizomba*, avez l’habitude de danser tous les samedis. Pendant les 4 semaines à venir les soirées kizomba sont de plus en plus dansantes. Le premier samedi il n’y aura qu’un DJ qui est dans ses débuts dans la profession. Puis les DJs qui presteront seront de plus en plus expérimentés. Celui du dernier samedi, vient carrément de la capitale angolaise pour ça : c’est un virtuose et ma foi, vous avez hâte ! Mais il faut fâcheusement  ménager un des samedis pour le devoir à rendre. A présent, je vous laisse relire la phrase introductive du papier pour saisir le rapprochement.

C’est une situation qui nous arrive si souvent. Faire le devoir entraîne un coût immédiat mais un bénéfice futur. Danser la kizomba entraîne un gain immédiat mais un coût futur lorsqu’on pense à ce qu’on aurait pu accomplir à ce moment. « Naïve » que je suis, j’ai tendance à procrastiner, à surestimer mon moi de demain qui va se dépêcher de faire le devoir pour être ensuite libre. Demain est vraiment audacieux ! Ted O’Donoghue et Matthew Rabin établissent un modèle théorique pour expliquer les comportements de chaque type d’individus. Je vais vous épargner la lecture des fonctions d’utilité proposées mais ils prétendent que : 

-Une personne consistante dans le temps fait le devoir le premier samedi, manquant ainsi la séance kizomba du DJ novice.

-Une personne naïve tombe dans le piège de son problème de self-control et va danser. Elle pense que la semaine d’après elle n’ira pas danser et fera son devoir. Mais ayant mal prédit son soi du futur, elle répète le même comportement le samedi numéro 2. Et finalement elle fait son devoir le samedi numéro 4 et manque donc la meilleure soirée Kizomba.

 -Quant à la personne sophistiquée, imparfaite mais consciente de cela, il y a des raisons de penser qu’elle va quand même procrastiner le premier samedi. C’est cette faiblesse qui la différencie de la personne consistante dans le temps. Le deuxième samedi, consciente de ce défaut de self-control, elle va préférer faire le devoir pour ne pas être tentée de repousser une fois de plus sa tâche plus tard. Elle assiste ainsi contrairement à la personne naïve, à la meilleure soirée de Kizomba.

 

C’est juste là un exemple, mais on peut en lister d’autres où la personne naïve finit par avoir un meilleur gain que la personne sophistiquée. Et comme autres applications, vous pourriez en lister plus que moi. Les décisions d’épargne : étant donné que consommer tout de suite apporte un bénéfice immédiat, une personne naïve va sous-épargner, pensant à tort qu’elle fera mieux à la période suivante. Les addictions : une personne sophistiquée prédisant qu’elle va finir par succomber à la tentation de fumer, se dit qu’elle pourrait tout aussi bien devenir dépendante maintenant. Enfin aujourd’hui, certains sont prêts à payer plus cher pour être livrés le même jour, lorsqu’ils passent une commande sur internet. Tout ceci met en évidence le conflit quotidien entre la gratification immédiate et celle différée. Comprendre ces notions de prédiction de ses propres comportements permet de fixer certains prix et coûts en économie, comme des taux d’intérêt, des primes de risque, des prix d’abonnement, etc.

J’ai fait fi de certains facteurs présents dans le modèle (biais pour le présent, actualisation dans le temps à long terme…) et j’espère que vous avez trouvé cela intéressant. Ce papier a été publié en 1999 dans l’American Economic Review, l’un des journaux les mieux classés en économie. A présent je vous laisse avec deux questions :

1- Voulez-vous 30$ maintenant ou 50$ dans 3 mois ?
2- Pensez-vous être une personne naïve, sophistiquée, ou cohérente dans le temps dans vos activités de tous les jours ?

 

* Je lisais un message de mon frère Yann au moment où j’ai écrit cette article et c’est lui le fan de Kizomba.

 

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Cet article a 24 commentaires

  1. Michèle Gameni

    Ça c’est un sujet qui me concerne particulièrement(mdr) je procrastine sur tout franchement j’ai besoin de délivrance 🫡. Enfaite je suis la personne naïve.

    1. Bitter cola

      Coucou Michèle! Comme moi alors. Je te propose de décomposer tes activités en petites tâches. Ca a un peu marché pour moi.

  2. Kami

    Sujet très intéressant !! C’est sûr que même les personnes les plus motivées s’y sont déjà retrouvées piégées.
    Pour ma part, je suis définitivement une personne naïve. Si je reprends ton exemple sur l’épargne, j’en ai payé les frais pendant une bonne année entière !

    Et pour répondre à ta première question, je voudrais 30 $ maintenant.

    Hâte pour la prochain article!! 🙂

  3. Johan Steve WETE

    1- je reste fidèle à la loi du d’abord (30€)😁
    2- j’essaie d’être sophistiqué et cohérent 🙏🏽

    Tu as les questions pas simple à répondre..on va prévoir un talk en visio pour revoir ça 😏

    1. Marielle Sandia

      1- 30€ maintenant 🙈
      2- les 3 personnes (naïves , sophistiquées et cohérentes)me concernent, tout dépend effectivement des circonstances🤭. Néanmoins je reste majoritairement une personne sophistiquée

  4. Mama Sadembou

    1. Mais évidemment on prend les 50 euros dans 3 mois, non ?
    2. Ton frère se plaint toujours que je veux l’action immédiate, donc selon lui peut-être j’entre dans la troisième catégorie. Par contre je trouve que je procrastine (trop) et me mettrais plutôt dans la deuxième catégorie 😇
    Actuellement en arrêt maladie avec des instructions du médecin à ne rien faire, je suis dans une 4ème catégorie, ou je vois tout ce qu’il faut faire, mais je dois rester assise/allongée et souffrir 🥲

  5. Eunila

    1. Je veux 50€ dans 3 mois🤣
    2. Je crois que je suis sophistiquée

  6. Joseph

    Le sujet qui touche tout le monde…
    1- 30€ maintenant, le rapport gain/temps dans ce cas n’est oas intéressant
    2- Dépendamment des situations je dirais que j’ai les trois types

    1. Bitter cola

      J’espère que tu réussis à t’accrocher à la bonne formule dépendamment de la situation!

  7. Rosy

    1-Clairement je cours pour 50€ dans 3 mois. La situation est favorable actuellement pour un tel choix.
    2- je dirais sophistiquée en général mais dans certaines circonstances particulières les deux autres prennent les manettes. Le folklore des 3 est souvent rigolo à la fin.😂

  8. Bossadé

    J’ai justement procrastiné avant de lire cet article ! Je me disais bon je vais lire ça demain dans les transports. Et ce demain arrivé dans les transports j’ai dit bon quand je serai tranquille dans mon lit le soir, jusqu’à j’ai dit stop je lis ça toute suite… Ah c’est un fléau 😩

    1- Je prends d’abord les 30€ un tour !
    2- Je suis naïf et sophistiqué.

  9. BERTAU DJOUEDJEU

    Au moins pour cet article j’ai pas procrastiné. Même si pour la plupart du temps je reste sophistiqué. Si non je préfère maximiser mon gain à 50 euros plus tard. Quand on gagne 30euros maintenant c’est pour investir et multiplier pour atteindre 50euros

  10. Dimitri

    1. Moi je prends les 30€ maintenant… dans 03 mois la voiture peut me cogner😂.

    2. Je pense être cohérente dans le temps… mais parfois naïf aussi.

  11. Syn

    Good writing here.
    1 – Dépend de la situation actuelle et la situation projetée 3 mois plus tard;
    2 – La personne la moins bien placée pour y répondre.

  12. Papa Ra

    Tout est question de gain. Si en prenant les 30€ je peux faire quelque chose qui dépasse pour moi les 50€ que je peux avoir dans 3 semaines , alors je les prends.
    Je pense que je suis de la 3ième catégorie.