Pay What You Want.

Chanson en fond : Society – Asa

Ananas malheureusement pas acheté en PWYW, Dakar.

Imaginez que vous entrez dans un restaurant pour un repas sain et équilibré. Mais pas n’importe quel restaurant ! Dans celui-ci, aucun prix n’est affiché sur le menu car vous avez la possibilité de payer ce que voulez (0€ ou plus). Première option : après avoir mangé, vous devez vous diriger seul vers une caisse automatique, rentrer le montant que vous voulez bien payer et partir. Deuxième option : pas de caisse automatique, vous devez vous diriger vers l’agent de caisse et vous ne connaissez absolument pas les autres clients présents dans la queue et ne risquez sans doute pas de les recroiser, puis donner ce que vous souhaitez payer. Troisième option : vous devez vous diriger vers l’agent de caisse et les autres clients présents en file sont vos voisins de palier. Quatrième option : l’agent de caisse est votre cousine et elle détient ce restaurant. Dîtes-moi en commentaire les différents montants que vous payez.

 Du point de vue de la théorie économique la plus standard, il n’y a aucune raison de payer plus de 0. C’est le montant qui permet d’optimiser vos gains, ce qui constitue le seul objectif. Dans la réalité, et dans des théories économiques (et sociales) plus avancées, nous savons très bien que ce n’est pas ce qui va se passer. Pourquoi exactement et comment on arriverait à jouer là-dessus ? Plusieurs économistes et modélisateurs de business se sont penchés sur la question.

 Je vous propose aujourd’hui un article d’économie expérimentale qui traite de ce sujet. Petite parenthèse : j’aurais voulu faire de l’économie expérimentale en troisième chapitre de thèse parce que j’aime beaucoup ça. Mais c’est très coûteux en argent et en temps, ce que je n’avais pas. Quoiqu’il en soit, Hofmann et al. (2021) en ont fait dans un contexte de Pay What You Want (PWYW). Et la question est de savoir quelle est la situation dans laquelle les joueurs donnent le plus d’argent.

A chaque début de session, l’expérience dans ce papier est la suivante : un vendeur est assigné à un groupe de trois acheteurs. Le vendeur propose un produit en utilisant la méthode PWYW, donc chaque acheteur peut payer le prix qu’il veut pour ce produit y compris 0. Le vendeur fait face à un certain coût allant de 0 à 4 pour chaque produit qu’il vend. L’acheteur quant à lui, valorise le produit un peu plus haut que le coût : 2, 6 ou 10.  Cette distribution est fixée en avance pour s’assurer que l’évaluation de l’acheteur est toujours au moins aussi élevée que les coûts du vendeur. Si un acheteur décide d’acheter le produit, il paie le montant qu’il veut et doit ensuite deviner le paiement des autres, et gagne par ailleurs des points s’il devine correctement. Les résultats de 4 designs sont comparés dans l’expérience : Selon le type de public dans chaque groupe d’acheteurs (3) et de vendeur (1), chaque joueur a à faire soit à un étranger, soit à une connaissance. Les paiements eux peuvent se faire soit devant une audience, soit sans audience. Pour créer un lien de familièreté, il est demandé aux acheteurs de se lever, de se regarder dans les yeux quelques secondes et de se rasseoir. Je vous ai proposé divers rapports entre personnes au début. A vous de me dire si vous pensez que le contact visuel est suffisant pour être familier à quelqu’un et interférer dans les paiements.

 Les résultats se font sur avec pour point de référence l’état d’inconnu-sans audience, c’est-à-dire lorsque personne ne connaît personne et personne n’observe les paiements. Tout d’abord il s’avère que, des joueurs qui ont décidé de procéder à l’achat, plus des 2/3 ont fait un paiement différent de 0. Dans la situation d’inconnu-sans audience, les acheteurs ont payé en moyenne 2.48. Les premiers résultats supportent l’idée de l’effet d’audience : les paiements sont supérieurs lorsqu’ils sont observés. Dans la situation d’inconnu-audience, les paiements étaient en moyenne de 2.83. Les deuxièmes résultats supposent que les paiements augmentent dans l’état de familiarité ; les paiements sont supérieurs lorsque acheteurs et vendeurs se connaissent (2.92). Si les deux chaînes sont activées (audience et familiarité), le paiement est encore plus grand (3.37).

 

Distribution des paiements, par traitement.

Jusqu’ici on s’est dit que les paiements en PWYW sont supérieurs s’ils sont observés ou si des acheteurs ont un certain niveau de familiarité. En discussion, les auteurs rajoutent quelque chose d’intéressant. La relation entre degré de familiarité et paiement pourrait ne pas être linéaire. En effet vous pouvez être un acheteur et les deux autres acheteurs sont vos amis. Vous ne songerez peut-être pas à payer plus, car vous ne vous souciez plus de ce que vos amis vont penser. D’ailleurs vous vous retrouverez dehors pour partager le butin.

 

Le deuxième papier que j’ai lu pour cet article n’est pas d’un journal économique, mais de Marketing. Ce n’est pas mon domaine, et donc je ne suis pas sûre de le critiquer de la bonne façon. Mais il s’agit aussi d’études expérimentales de PWYW dans la ville de Francfort. Dans la première étude, un restaurant perse propose la formule PWYW en novembre et décembre 2007. Deux semaines avant le PWYW, le restaurant propose un déjeuner en buffet de 7.99 euros, et pour les huit semaines qui suivent, le PWYW est mis en place. A ce moment, les clients peuvent désormais payer pour ce même déjeuner, ce qu’ils veulent. Durant ces semaines, le prix précédent de 7.99 euros n’est plus affiché. Je suis sûre que vous vous demandez si ça marche pour un gérant. Les résultats sont établis avec comme point de référence la période du buffet à 7.99 euros des deux semaines avant. Eh bien dans cette expérience, en moyenne le chiffre d’affaires a augmenté (significativement) de 32.35%. Le prix payé par les clients était certes inférieur (en moyenne 6.44 euros), mais le gérant voyait ses revenus augmenter par l’agrandissement de la clientèle avec à peu près 11 clients de plus par jour. Pensez donc au PWYW pour vos business plans 😉 .

Les autres études expérimentales ont été faites au cinéma et dans une épicerie fine. Certains jours les revenus étaient très intéressants, mais sur toute la période, l’augmentation n’était pas significative.

Après le dernier article publié dans la rubrique Ubiquituous Economics, un lecteur de Bitter-Cola m’a demandé pourquoi tout ceci fait partie des « sciences économiques ». Je profite donc de cet article pour clarifier tout ça. Il est vrai que lorsqu’on parle d’économie, un public non averti pense soit à de l’économie monétaire, soit à la finance d’entreprise (conf. cet article). Du moins, c’est ce qui me revient le plus. Mais on a le privilège d’aller beaucoup plus loin que ça. On s’intéresse à l’allocation des ressources de façon générale. Et lorsqu’il est question d’un meilleur partage du gâteau, vous êtes d’accord que plein de domaines peuvent être consultés. Le PWYW peut faire l’objet d’un programme de charité dans lequel même si un client peut payer ce qu’il veut, on joue sur plusieurs états psychologiques et sociaux pour qu’il paie, et paie plus. Cela peut permettre à ceux qui ont de l’argent de payer pour des moins nantis qui ne paieront rien. Pensez donc au PWYW pour vos programmes caritatifs 😉 .

 Pour ma part, je pense que le PWYW est une bonne méthode dans des zones à haut indice de confiance. Tu ne veux peut-être pas trahir la confiance du vendeur, et cela lui fait te faire encore plus confiance. Mais c’est aussi tellement risqué. Imaginez que l’Etat mette en place le PWYW pour le paiement des impôts. Tellement facile de prendre ce qui est « gratuit » même quand on a les moyens de payer plus.  Vous entendrez « rhoo c’est d’abord l’Etat le premier voleur non ? »

 Merci pour la lecture ! On se retrouve en octobre pour le prochain article de Ubiquituous Economics !

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Cet article a 6 commentaires

  1. Dr 😌 M.T. Mylène 🥰

    Je ne sais pas avec précision combien j’aurais payé parce que je pense que ça dépendrait aussi de la qualité de mon repas 🤔 ( pour moi le paiement serait plus comme un pourboire, une sorte d’encouragement).
    Mais ce que je sais est que le cas de figure où j’ai le plus de chance de ne rien payer (0€) est la 1ère option, suivie de près par le 3ème. La 4ème option est la situation où je paierai la plus grosse somme je pense bien.

    1. Bitter cola

      Je pense que pour la première option, je paierais en fonction de mes jours 😅.

  2. Syn

    Hi.
    La même somme pour les 3 premiers cas et un petit plus sur le dernier.
    Merci pour l’article.

      1. Mariette gaelle

        Le montant que je vais payer va dépendre de la qualité du repas et du service.

  3. Laura Magang Fopossi

    Tout dépendra de la qualité du repas et du confort du local. Mais ce qui est probable mon prix sera différent de 0 😊
    Je partage aussi l’idée selon laquelle la proximité entre le vendeur et l’acheteur, audience et sans audience aura un grand impact sur la méthode PWYW…